Le golfe de Guinée face à la recrudescence de la piraterie

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D’abord, il y a eu le Nigeria. Des attaques violentes menées à terre et en mer, des marins enlevés sur le quai de Port Harcourt, capitale pétrolière du pays, des navires offshore mitraillés et parfois pris d’assaut. Depuis une dizaine d’années, l’industrie pétrolière et ses sous-traitants, dont font partie les flottes de navires marchands, font face à une nette recrudescence des attaques devant le delta du Niger, carrefour du trafic de ravitaillement des plateformes et de chargement des pétroliers.

Derrière les premières revendications, un groupe revient régulièrement, le Mouvement d’émancipation du delta du Niger. Des rebelles héritiers du conflit du Biafra, qui avait vu, à la fin des années 70, l’éphémère création au Nigeria d’un Etat sécessionniste tenu par l’ethnie des Ibos, majoritairement composée de chrétiens. Ceux-ci s’opposaient au pouvoir central du Nord, aux mains d’ethnies musulmanes. Au centre de cette guerre civile qui a fait des milliers de morts, notamment parmi les civils (et qui fut à l’origine de la création de Médecins Sans Frontières), se trouvait la maîtrise de la zone pétrolière du delta du Niger. Les rebelles biafrais ont été, après trois ans de combat, battus et le gouvernement nigérian a repris le contrôle de Port Harcourt ainsi que la gestion des concessions offshore, déjà attribuées à ce moment-là, à des groupes pétroliers occidentaux.

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De la guérilla politique au banditisme

Depuis, la guérilla n’a jamais réellement cessé. Et avec l’augmentation de la présence occidentale à Port Harcourt, ses actions se sont orientées vers la déstabilisation de l’industrie pétrolière, la plus grosse source de revenus du Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique. Les attaques et enlèvements des années 2000 étaient, par conséquent, toujours assorties de revendications politiques, concernant notamment la redistribution locale des profits générés par l’exploitation pétrolière.

Puis le mouvement s’est amplifié à la fin des années 2000. Les attaques, d’abord concentrées sur le delta et dirigées depuis la côte (à portée d’embarcations légères ou de tirs depuis la terre), ont commencé à s’éloigner vers le large. Des actions ont été recensées plus à l’Est, vers la péninsule de Bakassi, au Cameroun. Et le modus operandi a changé pour se transformer en ce qui ressemble à de la piraterie.
Des bateaux, pour l’essentiel au début des unités de ravitaillement de plateformes (supply), ont été abordés pour être mis à sac. Les motivations politiques se sont éloignées pour faire place à du vol pur et simple, auquel se sont rapidement ajoutées des prises d’otages donnant lieu au paiement de fortes rançons.

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Une zone d’action qui s’étend

La zone d’action ne cesse de s’accroître vers l’est et le sud du golfe de Guinée. Les attaques sont violentes, avec des assaillants lourdement armés qui mènent des raids au moyen d’embarcations rapides.
Après les supply, un nouveau type d’attaque apparait, visant cette fois les petits tankers remplis d’hydrocarbures raffinés.
Les pirates montent à bord, séquestrent l’équipage et coupent les systèmes de communications. Le navire disparait plusieurs jours, le temps d’être siphonné de sa cargaison, transférée vers une barge. Les opérations de ce genre sont désormais la norme. Avec parfois, en plus, une prise d’otage de marins et une demande de rançon. Ces derniers mois, elles ont eu lieu devant les côtes de l’ensemble des pays bordant le nord du golfe de Guinée, jusqu’au large d’Abidjan, en Côte d’Ivoire.
Par ailleurs, une attaque aurait même eu lieu devant les côtes angolaises, c’est-à-dire très au sud et à proximité de l’autre grande zone d’exploitation pétrolière de la région.

Face à cette situation, les armateurs sont quelque peu démunis. Il ne suffit désormais plus de blinder la muraille des navires en transit devant Port Harcourt. Il faut désormais protéger les navires contre une menace qui se déplace vite et qui n’hésite pas à aller très au large. L’extrême tension de la zone a déjà provoqué une envolée des primes d’assurance et le retrait d’un certain nombre d’armements spécialisés dans les petits tankers.

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Des eaux sous souverainetés nationales

Cela, alors que la sécurisation de l’espace maritime et côtier n’est pas évidente. Le golfe de Guinée n’est pas le golfe d’Aden, où tous les navires empruntent le même corridor de transit, dans lequel des convois peuvent être organisés et escortés par des forces aéronavales internationales, qui ratissent également la mer pour débusquer les pirates. Des mesures complétées par l’embarquement, sur les navires de commerce, d’équipes de protection militaires ou de gardes privés. Au large des côtes africaines, les flottes occidentales sont peu présentes, à l’image de la Marine nationale dont la base arrière est loin – à Dakar – et qui ne dispose, à proximité, que des moyens affectés à la mission Corymbe.

Mais, surtout, le Nigeria et ses voisins ne sont pas la Somalie. Ce sont des Etats souverains dont les eaux territoriales, où se déroulent les attaques, ne peuvent être fréquentées par des moyens étrangers menant des opérations militaires. Il n’est donc à priori pas question, comme c’est le cas au large de la corne d’Afrique, où l’Etat somalien n’existe pour ainsi dire plus, d’imaginer la création d’une force internationale comme Atalante. Surtout que les Africains de l’ouest, même si certains sont plutôt favorables aux coopérations, entendent avant tout prendre en main la sécurisation de leurs intérêts.

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Gardes embarqués : le racket organisé au Nigeria

Le Nigeria a ouvert la voie en formant un corps de gardes militaires, complété par des officines locales dûment labellisées par le gouvernement, que les navires en transit dans les eaux territoriales ont désormais l’obligation d’embarquer. Le Nigeria interdit en effet aux armateurs de recourir à des équipes de protection de leur choix ou même des militaires du pays dont leurs navires battent pavillon. Le problème, c’est qu’il ne s’agit pas tant d’une décision politique que d’intérêts financiers au sein d’un Etat rongé par la corruption.
Politiques, militaires et sociétés privées se livrent, affirme des armateurs européens, à un racket en bonne et due forme avec ces juteux contrats de protection, que les compagnies payent au prix fort. Cela, pour des services qui sont souvent très critiquables, avec des gardes au professionnalisme parfois douteux et même, sur certains bateaux, des cas relatés de violences à l’encontre des équipages. C’est pourquoi les professionnels du transport maritime, comme Armateurs de France, réclament une action diplomatique forte de l’Union européenne et de la France auprès du Nigeria, afin notamment de permettre aux opérateurs de protéger leurs navires avec les moyens de leur choix. Cependant, malgré la grogne des étrangers travaillant sur place, les enjeux économiques et la concurrence sont tels que le Nigeria peut imposer pour le moment sa loi comme bon lui semble, sans vraiment redouter les pressions extérieures.

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Renforcement des marines régionales  

De manière générale, on constate en tous cas un renforcement sensible des moyens mis à disposition des marines régionales afin de protéger les espaces maritimes nationaux et leurs ressources, notamment pétrolières.

La Chine, qui souhaite renforcer sa présence sur le continent africain, apporte dans ce domaine son aide en livrant des bateaux à certains pays, comme le Ghana, le Nigeria, le Congo, l’Angola ou encore la Namibie. Les autres marines de la région, à l’instar du Sénégal, de Guinée, du Bénin, du Gabon et Cameroun, continuent quant à elles de traiter auprès de leurs fournisseurs habituels, notamment français. Raidco Marine a, ainsi, vendu des patrouilleurs et des vedettes au Sénégal, à la Côte d’Ivoire et au Togo, alors qu’Ocea a livré des bâtiments au Bénin, mais aussi au Nigeria. L’ex-Grèbe de la marine française a, quant à lui, rejoint le Cameroun.

Les moyens navals dans la zone sont donc en train de se muscler rapidement pour faire face à la recrudescence des attaques, qui perturbent l’activité en mer et ne sont évidemment pas bonnes pour les affaires. Quant à la coordination de ces moyens étatiques régionaux, les choses avancent. Ainsi, en mars 2013, 25 pays de la région ont signé un plan de coopération pour lutter contre la piraterie.

Via Mer et Marine

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