Le lundi 28 mars 2016 s’est ouvert à New-York un gigantesque chantier pour la communauté internationale, celui visant à mettre sur pied des règles applicables à tous les États du monde sur la haute mer, pour la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine.
Les travaux pour préparer cette nouvelle négociation sur la haute mer ont commencé en 2006 avec un groupe de travail placé sous l’égide de l’ONU, le Biodiversity Beyond National Jurisdiction, ou « biodiversité au-delà des juridictions nationales ».
Après de nombreuses négociations, le groupe a enfin présenté un projet sur quatre thématiques :
• Les ressources génétiques marines et le partage des bénéfices de leur exploitation
• La création d’Aires Marines Protégées en haute mer
• La mise en place d’une étude d’impact sur l’environnement avant toute entreprise d’exploration ou de création de route maritime
• La coopération entre États (transferts de technologies entre pays du Nord et du Sud)
Sur ce projet, les États sont donc invités à se réunir dix semaines au total, quatre fois quinze jours en 2016 et 2017, et dont la première réunion a débuté le lundi 28 mars dernier à New-York. L’objectif est de proposer officiellement en 2018 un accord final aux 190 États membres.
Mais la création d’Aires Marines Protégées en haute mer, ou du moins de zones de haute mer sous juridiction, ne correspond pas réellement à l’idée de ce que la coutume internationale se fait de la haute mer.
Les origines du droit de la mer :
Le droit de la mer s’est construit entre opposition de la liberté des mers et sécurité du territoire. La mer étant par nature incontrôlable par les États, ces derniers ne peuvent exercer leur autorité et juridiction qu’au travers de leurs ressortissants nationaux.
C’est ainsi qu’est né le principe de liberté de la mer, ou liberté de haute mer.
L’usage de la mer va se développer au fil des siècles avec l’expansion des échanges et du commerce international, dont la communication maritime sera le principal support.
Le contrôle en mer des personnes, des biens, et de l’exploitation des ressources halieutiques par les États est par nature difficile, surtout en haute mer. L’usage de la mer, de manière générale, entre ainsi en opposition avec les intérêts des États côtiers, qui vont justement vouloir exercer leur emprise sur les espaces marins au large de leur territoire terrestre pour d’une part affirmer leur autorité, et d’autre part s’accaparer les ressources qui s’y trouvent.
C’est au XVIIè siècle que le concept de la sécurité économique prend forme, à une époque où les échanges avec les nouveaux territoires font la fortune des pays et des armateurs. Certains États souhaitent que la mer devienne juridiquement, et donc officiellement un espace de liberté comme elle l’a été jusqu’alors, tandis que d’autres souhaitent pleinement exercer leur autorité sur elle.
Ce conflit d’usage sera discuté sur le plan juridique par l’opposition entre GROTIUS (néerlandais) et SELDEN (anglais) au XVIIè siècle, l’un soutenant la thèse de la liberté, l’autre de la servitude.
À cette époque où les activités maritimes se développent, les britanniques ont été confrontés à un problème de pêche étrangère concurrençant les pêcheurs locaux dans des espaces riverains du territoire britanniques. Ils ont voulu exclure les pêcheurs étrangers, ce qu’ils refusèrent au nom de la liberté des mers.
Ce fut donc logiquement l’anglais SELDEN qui défendit la thèse de Mare Clausum, théorie selon laquelle autour d’un territoire terrestre existe une mer fermée, une zone maritime au sein de laquelle l’État peut exclure les étrangers au nom de sa souveraineté.
Face à cette argumentation de logique économique, GROTIUS développe le concept de Mare Liberum, principe selon lequel la mer doit être libre, et doit le rester, car son occupation par la navigation n’entrave pas les autres navires de son usage.
La doctrine de GROTIUS peut se résumer par l’un des arguments que voici : Les productions nécessaires aux besoins de l’homme se trouvant partagées inégalement entre les diverses contrées du monde, la volonté divine, révélée par cette loi de la nature, est que les nations puissent se communiquer l’une à l’autre ce qui leur manque.
Il fonde également sa théorie sur deux éléments factuels :
– On ne peut matériellement pas contrôler l’ensemble des espaces marins, donc la liberté s’impose de fait,
– La liberté des mers encourage le développement du commerce international, dont tous les États peuvent prendre part. L’intérêt de garantir la liberté des mers est donc général.
Une publication de qualité a été éditée par la Revue Maritime sur la question de la liberté des mers telle qu’on la posait au commencement du XVIIe siècle par Eugène Cauchy, que vous pouvez consulter en cliquant ici.
Le concept de Mare Liberum de GROTIUS est celui qui a dominé la doctrine jusqu’à aujourd’hui.
Toutefois, le concept de Mare Clausum n’a pas disparu pour autant. En effet, cette théorie a progressivement donné naissance aux zones territoriales (appelées aujourd’hui mer territoriale) adjacent au territoire terrestre sur lesquelles l’État va exercer son autorité selon sa capacité.
Les deux concepts se sont imposés.
L’encadrement des activités maritimes de navigation et d’exploitation au fur et à mesure des époques a donné naissance dans les faits à de nouvelles zones maritimes sous juridiction étatique selon la nature de l’activité. En effet, à l’issu de la Seconde Guerre Mondiale par exemple, les États-Unis se sont déclarés de manière unilatérale exclusivement compétents pour exploiter les ressources sur la mer, dans les espaces sous-marins, ainsi que dans les sous-sols marins adjacents à leur territoire terrestre et jusqu’à 12 milles nautiques, soit au-delà de leur mer territoriale qui s’étendait à l’époque entre 3 et 6 milles nautiques (la première mesure de zone territoriale était la portée d’un boulet de canon tiré depuis la terre, considérant qu’au-delà se trouvait la haute mer et que l’État adjacent ne pouvait exercer son autorité).
Cette décision unilatérale est la Déclaration TRUMAN de 1945, dans laquelle on consacre le concept de Plateau Continental, à grande valeur économique (pétrole, minerais, etc).
D’autres États comme le Chili, le Pérou ou l’Équateur, ne disposent pas de Plateau Continental, mais déclarent de manière unilatérale encore une exclusivité d’exploitation des ressources halieutiques dans les zones maritimes adjacentes qui s’étendent à 200 milles nautiques (Déclaration de Santiago, 1952).
Puis vinrent les quatre conventions de Genève en 1958, avec la convention sur la mer territoriale (qui a échoué à cause de la définition de la largeur de sa surface), la convention sur la pêche, la convention sur le Plateau Continental, et la convention sur la haute mer qui consacre la liberté de passage, de navigation, de survol, de pêche et de pose de câbles et pipelines.
En 1973 s’ouvre ensuite la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, avec pour particularité la prise en compte des États des richesses que la mer pouvait apporter et la possibilité qui leur été offerte d’accroitre leur territoire à travers la mer territoriale. L’enjeu de la mer territoriale était devenu de plus en plus fort puisqu’il fut porté par le Groupe des 77, le groupe des États du Tiers-Monde à l’ONU (groupe qui existe encore à l’heure actuelle mais n’est plus composé que de 70 pays). Ils désiraient une mer territoriale à 200 milles nautiques des côtes, ce qui constituait une atteinte potentielle au concept de Mare Liberum et au principe de la liberté de navigation, car le droit international a consacré depuis la Convention de Genève de 1958 la possibilité pour les États côtiers de suspendre temporairement le droit passage inoffensif des navires étrangers si cette mesure est indispensable pour assurer la sécurité. D’autant que cela pouvait également porter atteinte aux passages dans les détroits internationaux.
Aussi, cette demande d’élargissement du territoire s’était doublée d’une autre requête, celle de la revendication collective des richesses de la mer, qu’Arvid PARDO, ambassadeur et représentant de Malte à l’ONU, avait proposé en 1967 de qualifier Patrimoine Commun de l’Humanité.
La troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer a duré 9 ans, et a abouti le 10 décembre 1982 à l’adoption de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer, telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Ainsi, la CNUDM de 1982, dite Convention de Montego Bay, n’est pas la première du genre. Le droit de la mer est une discipline coutumière. C’est aussi un droit marqué par le droit de la guerre au travers de la Convention de La Haye sur la guerre maritime.
Cette discipline s’est toujours adaptée à l’ère de son temps : le monde entre la première et troisième conférence sur le droit de la mer a considérablement évolué, en plus du fait qu’au XXe siècle, la scène internationale fut dominée par les puissances industrielles et maritimes, qui étaient également de grandes puissances coloniales.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il n’y avait pas besoin de codification, il y avait un accord implicite sur les usages de la mer.
Ce sont les évènements de l’Histoire qui ont obligé la codification, comme la raréfaction des ressources halieutiques dont la prise de conscience a débuté après-guerre (d’où la Convention de Genève de 1958 sur la pêche et les ressources biologiques citée ci-dessus).
En tout état de cause, une chose est sûre : la Convention de Montego Bay, véritable constitution maritime internationale, a consacré aussi bien le principe de Mare Clausum que Mare Liberum. Les longues négociations à travers le XXe siècle ont permis aux États de se mettre d’accord sur le fait d’injecter dans le droit maritime international une limitation de l’usage de la mer selon le lieu et le type d’activité effectué (Mare Clausum) et de consacrer dans une moindre mesure le concept de Mare Liberum. Mais ce recul au profit des compétences de l’État sur les territoires marins reste tout de même marqué par la volonté de maintenir la liberté de navigation.
Ainsi, la prise en compte des nécessités des communications maritimes est minimale lorsque l’on est proche du territoire terrestre, et plus importante lorsque l’on s’en éloigne.
Inversement, la souveraineté de l’État sur la mer est maximale lorsqu’on en est proche, et minimale quand on s’en éloigne.
Depuis la conférence de Rio +20 qui s’est achevée le 22 juin 2012, la question qui revient fréquemment est la gouvernance de la haute-mer. La conférence de Rio +20 a émis le souhait qu’à échéance 2014, il y ait le vote d’une résolution ou d’un protocole sur la gouvernance de la haute mer qui pourrait prendre forme par l’extension des compétences de l’autorité internationale des fonds marins. En effet, l’article 162 de la Déclaration Finale de la Conférence de Rio +20 prévoit un engagement à traiter, d’ici la 69e session de l’Assemblée Générale des Nations Unies, la question de la biodiversité marine au-delà des zones de juridiction nationale, notamment en prenant une décision sur l’élaboration d’un instrument international sous les auspices de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer.
La 69e session s’est déroulée du 21 au 28 septembre 2014, et en effet, la résolution n° 69/292 (adoptée le 19 juin 2015) prévoit l’élaboration d’un instrument international juridiquement contraignant se rapportant à la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale. Elle instaure dans l’article 1-a un comité préparatoire ouvert à tous les États membres de l’ONU, qui sera chargé de présenter des recommandations de fonds pour la création d’un instrument international juridiquement contraignant et qui aura également la charge d’étudier les questions relatives à la conservation et à l’exploitation durable de la biodiversité marine dans les zones situées au-delà des limites de la juridiction nationale, et dont les travaux devront commencer en 2016 afin d’établir un rapport sur l’état d’avancement avant la fin 2017.
C’est dans cette même résolution que l’on évoque les réunions préparatoires qui doivent avoir lieu du 28 mars au 8 avril et du 29 août au 12 septembre 2016.
Nous y sommes donc. Ce gigantesque chantier n’est donc pas nouveau, le cap est tracé depuis de nombreuses années.
En parallèle, l’Appel de Paris pour la haute mer a également encouragé cette initiative auprès de l’ONU. L’objectif de l’Appel est, à terme, la création d’une gouvernance internationale partagée, transparente, et démocratique pour permettre de sauvegarder et de gérer durablement les richesses de ce bien commun unique qu’est l’océan et la haute mer. La résolution n°69/292 et la mise en place du comité préparatoire sont donc une première victoire.
La France aussi porte une attention particulière à la protection de la haute mer et à son usage. En effet, à la suite du Grenelle de la Mer, un groupe de travail sur les aires marines protégées s’est constitué autour du conseil d’administration de l’Agence des aires marines protégées. Son Président Jérôme BIGNON a remis les résultats de ce groupe de travail à la Ministre du développement durable de l’époque le 13 octobre 2011, dans lequel figure une proposition de stratégie nationale pour la création et la gestion des aires marines protégées (SCGAMP) qui fait suite à une stratégie de création d’AMP adoptée par le gouvernement en 2007.
L’un des points clés de la stratégie est d’apporter une priorité en matière d’action internationale et régionale en encourageant le développement d’AMP de haute mer dans le cadre de conventions de mers régionales.
la France défend une vision qui consiste à croiser les enjeux de protection du milieu et de la biodiversité avec ceux relatifs aux usages de la mer. « Cette démarche, défendue lors de la conférence de Brest organisée sous présidence française en décembre 2008, implique que très en amont les parties concernées soient associées au processus de création d’une AMP de haute mer et que les conventions de mers régionales coopèrent étroitement avec les organisations sectorielles compétentes » comme le précise la stratégie.
Mais quelles sont les parties concernées, si ce n’est l’ensemble des États du monde, vu qu’il est question de la haute mer ? Même s’il est question de mettre en place des conventions de mers régionales, n’est-ce pas contraire à l’idée de ce que la coutume internationale se fait de la haute mer ?
En tout état de cause, la France s’efforce d’être force de proposition à cet égard souhaite, à chaque fois que cela sera possible, une implication concrète dans les mécanismes de gestion des AMP de haute mer.
À ce titre, c’est elle qui a encouragé une évolution de l’autorité internationale des fonds marins dans la protection des grands fonds marins situés au-delà de la juridiction des États, idée reprise dans la Déclaration finale de la Conférence de Rio +20.
Pourquoi l’OMI se penche sur la création juridique d’Aires Marines Protégées en haute mer, alors qu’il en existe déjà 6 en Atlantique Nord ? Ne peut-elle pas s’inspirer des mêmes mécanismes ?
En effet, dans le cadre de la Convention OSPAR (Convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est ou Convention Osla-Paris) sont définies les modalités de la coopération internationale pour la protection du milieu marin de l’Atlantique Nord-Est. Elle est entrée en vigueur le 25 mars 1998.
Quinze gouvernements et l’Union Européenne (ainsi que l’Agence française des Aires Marines Protégées) ont collaboré pour protéger l’environnement marin de l’Atlantique Nord au-delà des juridictions nationales, en haute mer en se basant sur une approche écosystémique du milieu marin. Ils ont adopté des mesures relatives à la protection de la biodiversité et des écosystèmes marins, dont la création d’Aires marines protégées en haute mer.
La convention a identifié plusieurs zones caractérisées par d’importantes richesses écologiques. Mais le mandant d’OSPAR exclut expressément l’adoption de mesures de gestion de la pêche, du transport maritime ou de l’extraction des ressources minérales du sol et du sous-sol des grands fonds marins. Il s’agit d’une mise en œuvre de mesures en matière de sensibilisation, de recueil d’informations, de respect des bonnes pratiques pour la recherche scientifique en haute mer et de promotion des objectifs de conservation auprès des États tiers et des organisations internationales compétentes. Il ne s’agit donc que de recommandations.
OSPAR et l’OMI sont donc sur deux fronts différents. Bien qu’OSPAR s’inscrit dans une logique de sensibilisation, les aires marines protégées qu’elle désigne n’imposent pas la moindre règle contraignante, ce qui serait contraire au droit international. En effet, États et organisations internationales n’ont de cesse de souligner que l’établissement d’une aire marine protégée ne peut se faire que conformément au droit international, et si cette condition ne semble pas difficile à remplir dans les zones sous juridiction étatique, elle devient logiquement plus problématique en haute mer gouvernée par le principe de liberté qui se décline, entre autres, en liberté de navigation, de survol et d’exploitation halieutique (article 87 de la CNUDM).
L’utilité d’OSPAR permet d’une certaine manière de sensibiliser les États à la nécessité d’imposer des mesures contraignantes de protection au travers des mesures de sensibilisation, de recueil d’informations et d’éducation aux bonnes pratiques, mais ne peut les contraindre. On peut donc considérer cela comme une étape préalable à la régularisation des pratiques et usages en haute mer.
Cependant, des mesures de conservation exigent forcément un minimum de contrainte juridique. Comment concilier cette nécessité avec le principe de liberté ? La création en haute mer d’aires marines protégées contraignantes ne se heurterait-elle pas à l’idée de ce que la coutume internationale se fait de la haute mer, et à la Convention de Montego Bay ?
Le principe de liberté en haute mer et volonté des États d’en porter atteinte :
En haute mer, aucun État ne peut légitimement prétendre soumettre une quelconque partie de cet espace à sa souveraineté. Tous les États ont le droit d’y accéder librement car c’est un espace international sur lequel il n’existe pas d’autorité internationalement compétente pour faire respecter des normes aux États. Ceux-ci sont compétents à l’égard de leurs nationaux sur les navires qui battent leur pavillon. Il subsiste donc toujours un rattachement juridique, mais ce sera la seule compétence qui restera à l’égard de l’État.
Mais la liberté au sens de la Convention de Montego Bay correspond en réalité à la compétence de l’État du pavillon qui se traduira par des règles juridiques pour pouvoir être en zone internationale. Ce principe de liberté en haute mer est donc relatif à la compétence exclusive de l’État du pavillon.
Au sujet de l’usage que les États font de la mer, la Convention de Montego Bay qui, rappelons-le encore, est une codification de la coutume internationale, est claire :
– Tout État a le droit de poser des câbles ou des pipelines sous-marins sur le fond de la mer, au-delà du Plateau Continental,
– Tous les États ont droit à ce que leurs ressortissants pêchent en haute mer (sous réserve de leurs obligations conventionnelles et des règles qui régissent les ZEE).
Cependant, la convention précise que la limitation de l’exploitation de la haute mer dépend du ressort des États eux-mêmes : « tous les États ont l’obligation de prendre les mesures applicables à leurs ressortissants qui peuvent être nécessaires pour assurer la conservation des ressources biologiques de la haute mer ou de coopérer avec d’autres États à la prise de telles mesures ; ils coopèrent à la conservation et à la gestion des ressources biologiques en haute mer, et la négociation est nécessaire lorsque des ressortissants de différents États exploitent des ressources d’une même zone, afin de prendre les mesures nécessaires à leur conservation.
On tire donc ici les conséquences de la liberté et de la nécessité d’exploiter des ressources épuisables. Cela s’est traduit par les organisations régionales de pêche (CICTA, OPANO, etc).
La convention invite donc les États à coopérer pour une exploitation « durable » des ressources, mais n’incite sûrement pas à la création de zones de protection en haute mer sous juridiction étatique ou inter-étatique. Car elle ne traite pas spécifiquement de la diversité biologique marine. Cependant, elle invite les États à s’entendre sur une gestion intelligente des ressources marines, en dehors du fait qu’ils ont tout de même chacun l’obligation de protéger et de préserver le milieu marin (article 192).
Ainsi, comme en dispose l’article 194, les États prennent séparément ou conjointement les mesures compatibles avec la convention qui sont nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin, quelle qu’en soit la source, et doivent mettre en oeuvre à cette fin les moyens les mieux adaptés dont ils disposent, en fonction de leurs capacités, en s’efforçant d’harmoniser leurs politiques à cet égard dans l’objectif de protéger et préserver les écosystèmes rares ou délicats, ainsi que l’habitat des espèces et autres organismes marins en régression, menacés ou en voie d’extinction.
Ces deux articles 192 et 194 offrent ainsi un fondement juridique sans équivoque sur la nécessité générale de protéger l’environnement marin sans en préciser le lieu.
Et en supplément, l’article 197 invite les États à coopérer au plan mondial ou régional, directement ou par l’intermédiaire des organisations internationales compétentes, et à élaborer des règles, des pratiques et des procédures dans le but de protéger et préserver le milieu marin. Voilà donc qui enfonce le clou et qui donne une troisième raison de supposer qu’il existe bien un fondement juridique permettant la création d’aires marines protégées en haute mer.
Il aurait été possible de trouver d’autres fondements juridiques à la création d’aires marines protégées en haute mer, notamment au sein de conventions régionales comme la convention de Barcelone ou l’accord PELAGOS (parmi d’autres), mais la Convention de Montego Bay étant un accord cadre, se fonder sur celle-ci pour légaliser la création d’AMP en haute mer permet à la fois d’intégrer la communauté internationale au processus de décision tout en légitimant un accord qui concernera la communauté internationale et auquel les États membres adhèreront.
D’autant qu’eu égard à la hiérarchie des normes, un accord contraignant entre quelques États régionaux portant sur une zone en haute mer serait contraire à la Convention de Montego Bay. En effet, la haute mer étant un espace n’appartenant à personne selon l’article 89 (« Aucun État ne peut légitimement prétendre soumettre une partie quelconque de la haute mer à sa souveraineté« ), la légalisation d’une zone de haute mer ne peut se faire qu’en fonction de l’expression de la volonté générale dont la référence à la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer est indispensable vu qu’elle est un accord cadre, et permettra par la suite d’imposer les contraintes à des États tiers.
Si la haute mer est, en droit et en fait, assimilée à un espace de liberté et soumise au principe de non appropriation et à l’exclusivité de la loi du pavillon, c’est parce-qu’à l’origine, ce principe est né du contexte économique d’une époque industrielle en plein développement. La liberté de navigation, de passage et de communication par la mer était donc indispensable au développement du commerce international auquel tous les États ont pris part.
Aujourd’hui, l’époque est différente, le principe de liberté est acquis, mais les enjeux ont évolué avec l’exploration et l’exploitation sous-marine, la recherche scientifique, la protection de l’environnement marin et l’encadrement de l’exploitation des ressources halieutiques.
Si l’on souhaite porter atteinte au principe de non-accaparement des zones maritimes qui se trouvent être en dehors de toute juridiction, doit-on alors repenser le concept juridique de la « haute mer ? » Doit-on étendre les zones sous juridiction étatique dont un nouvel organe au sein des Nations Unies aura la charge et dont le mandat comprendrait la désignation et la régulation des aires marines protégées ?
Le développement des compétences des Organisations Régionales de Pêche (ORP) serait envisageable, mais pour les raisons évoquées précédemment, l’aménagement des conventions régionales serait complexe si ce n’est insuffisant vu que toutes les mers du globe ne sont pas couvertes par une ORP, qui d’ailleurs sont des organisations non-contraignantes et qui n’adoptent que des recommandations qui ne sont pas obligatoires au regard du droit international.
La création d’une nouvelle autorité internationale de gestion de la haute mer aux pouvoirs contraignants serait-elle une solution ?
L’expansion des compétences de l’Autorité Internationale des Fonds Marins en serait une autre, et bien plus efficace. En effet, ses compétences sont aujourd’hui limitées à la Zone dont elle a la charge d’administrer ses ressources minérales et de réglementer l’exploration et l’exploitation minière. Elle n’a pas compétence sur d’autres activités dans les fonds marins et leur sous-sol, ni dans la colonne d’eau au dessus des grands fonds.
Si la volonté de créer des AMP en haute mer est née du souhait de protéger aussi bien le sol que le sous-sol mais aussi de la colonne d’eau, l’expansion des compétences de l’Autorité Internationale des Fonds Marins pourrait effectivement être une solution simple à laquelle la majorité des États peuvent adhérer.
L’Autorité a pour mission de protéger la Zone, qui a le statut de « Patrimoine Commun de l’Humanité ». Elle est habilité à agir au nom de l’humanité toute entière comme le prévoit expressément l’article 137-2 de la Convention de Montego Bay, et par conséquent à donner du contenu concret au principe de patrimoine commun de l’humanité.
N’est-ce pas la protection de l’humanité qui motive les États à encadrer l’usage de la haute mer ?
La création d’Aires Marines Protégées en haute mer est-elle contraire à la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer ?
La réponse est non, pas expressément. En effet, étudier l’esprit et la lettre du texte permet de constater qu’il existe bien un fondement juridique permettant la création d’aires marines protégées en haute mer au vu de la nécessité de protéger l’environnement marin pour l’intérêt général et celui de l’humanité. Ce n’est ni une faille, ni un vide juridique.
La route est probablement longue, mais pour ce faire, nous disposons d’outils efficaces à notre disposition et des organes déjà existant pour y parvenir.
Très bon article, merci pour cette analyse!
Qui en est/sont l(es) auteur(s) ?