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Comment les marées noires ont fait évoluer la sûreté en mer

Retour sur l’évolution du droit maritime en matière de sûreté et de pollution de cette dernière décénie.

Article paru le 17 octobre 2012, rédigé par Audrey Garric, publié sur LeMonde.fr

Cette re-publication n’a pour objet qu’un simple rappel historique des catastrophes maritimes, après l’échouage début février 2014 d’un cargo sur les côtes d’Anglet.

Le miracle veut qu’il n’y ait eu aucune pollution maritime.

 

 Le naufrage du pétrolier Torrey-Canyon, battant pavillon libérien, le 18 mars 1967, entraîne le déversement de 121 000 tonnes de pétrole dans la Manche. Alors que 180 km de côtes sont touchées, essentiellement en Cornouailles (Angleterre), on parle pour la première fois de “marée noire”. La communauté maritime, sous l’impulsion de l’Organisation maritime internationale(OMI), décide d’engager la responsabilité des opérateurs en cause. C’est la naissance de laconvention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, conclue en 1969. “Il s’agit d’une très grande avancée puisque c’est la première fois qu’une responsabilité de plein droit pèse sur le propriétaire du navire”, assure Philippe Delebecque, professeur de droit maritime à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et président de la chambre arbitrale maritime de Paris.

Cette convention est ensuite doublée par une autre, en 1971, qui institue un Fonds d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (Fipol), afin d’indemniser les victimes lorsque le propriétaire du bateau est défaillant. Le Fipol, renforcé en 1992, interviendra notamment pour les victimes du naufrage de l’Erika.

 

 

 Le 16 mars 1978, nouveau naufrage d’un pétrolier battant pavillon libérien, l’Amoco-Cadiz, et nouvelle marée noire, au large des côtes bretonnes. Cette fois, ce sont 227 000 tonnes d’hydrocarbures qui sont déversées et 360 km de côtes touchées de Brest à la baie de Saint-Brieuc. La communauté maritime augmente les plafonds d’indemnisation, jugés insuffisants. La France impose aussi des routes maritimes, appelées rails de circulation, dans ses eaux territoriales, afin de limiter les risques d’accident et mieux surveiller le trafic. 

Enfin, en 1982, le mémorandum d’entente de Paris, texte non contraignant, est signé entre 14 nations maritimes (27 aujourd’hui) en Europe et au Canada, afin d’harmoniser les contrôles des navires dans les ports. Il dresse, encore aujourd’hui, les listes noire, grise et blanche des pavillons, baromètre de leur qualité.

 

 Le 24 mars 1989, le pétrolier américain Exxon-Valdez, s’échoue sur la côte de l’Alaska et provoque une importante marée noire (39 000 tonnes de brut déversées sur 800 km de côtes) avec un grand retentissement aux Etats-Unis. L’année suivante, le Congrès adopte l’Oil Pollution Act, une règlementation nationale de prévention des pollutions. Les pétroliers qui s’amarrent dans les ports américains doivent ainsiêtre dotés d’une double coque. Et le principe de responsabilité limitée de l’armateur est abrogé.

 

 Le naufrage de l’Erika, pétrolier battant pavillon maltais, le 12 décembre 1999, au large de la Bretagne, débouche sur un nouvel ensemble de mesures au sein de l’Union européenne, regroupées en trois “paquets” :Paquet Erika I (mars 2000), Paquet Erika II (décembre 2000) et Paquet Erika III (novembre 2005). Parmi lesrègles, les contrôles dans les ports deviennent obligatoires pour l’ensemble des bateaux, certains navires sont bannis, les sociétés de classification (qui expertisent les bateaux) sont elles aussi contrôlées et des ports de refuge sont organisés pour éviter les risques de pollution en cas d’avarie d’un navire.

L’Union européenne convainc aussi l’OMI d’appliquerau niveau international un calendrier de retrait des pétroliers à simple coque pour les remplacer par des bateaux à double coque. Surtout, l’Agence européenne pour la sécurité maritime est créée en 2002 afin desuivre et surveiller les navires dans les eaux communautaires, de manière à réduire les risques d’accident et de pollution.

Du côté de la jurisprudence, la Cour d’appel de Paris introduit dans son arrêt de 2010 la notion de préjudice écologique, une atteinte au patrimoine naturel justifiant le versement de dommages et intérêts. “En ayant étéapprouvée par la Cour de cassation en septembre dernier, elle est maintenant une notion importante reconnue dans le droit français”, précise Philippe Delebecque.

 

 Le 13 novembre 2002, le Prestige, pétrolier libérien sous pavillon des Bahamas, se casse en deux, victime d’une voie d’eau, et dérive pendant six jours dans l’Atlantique, avant de couler au large de l’Espagne. Il laisse s’échapper 60 000 tonnes de brut qui polluent 2 600 kilomètres de côtes. La Commission européenne adopte un nouveau règlement pour accélérer encore le calendrier de retrait des pétroliers à simple coque. Elle interdit par ailleurs le transport, par ces pétroliers, de plus de 600 tonnes de pétrole et de fuel lourd et leur escale dans les ports des Etats membres de l’Union.

En 2011, 128 incidents sérieux ou très sérieux ont été dénombrés par le Système mondial intégré d’information sur les transports maritimes (Gisis) de l’OMI. Au total, ce sont plus de 2 000 tonnes d’hydrocarbures qui ont été déversées au cours de l’année dernière, selon l’association Robin des Bois et le Centre de documentation de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux (Cedre). Ces pollutions proviennent essentiellement du vraquier maltais Oliva qui a répandu 1 500 tonnes de pétrole brut lourd dans l’Atlantique Sud, du porte-conteneurs libérien Rena, échoué au nord de la Nouvelle-Zélande (350 tonnes), et du porte-conteneurs islandais Godafoss qui a fait naufrage au sud de la Norvège (110 tonnes).

Car si la réglementation s’est renforcée, le transport maritime s’est aussi accru dans le même temps. Sous l’impulsion du développement économique des pays émergents, Chine en tête, ce sont 8,4 milliards de tonnes de marchandises qui ont été transportées en 2010 (+7% par rapport à 2009), soit plus des trois quarts du commerce mondial, selon le rapport du transport maritime 2011 de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement. Le pétrole représente 30% de ce volume (2,8 milliards de tonnes).

Aux côtés de nouveaux navires construits, les bateaux anciens, les plus dangereux s’ils sont mal entretenus, se voient maintenus en mer pour répondre à la demande croissance de transport. Aucun chiffre officiel ne comptabilise le nombre de navires-poubelles en circulation. “On estime néanmoins que 15 % des bateaux dans le monde présentent des risques et ne respectent pas les réglementations internationales, livre Philippe Delebecque. Il s’agit de souvent de vieux bateaux mais aussi de navires qui viennent juste d’êtreconstruits et ne présentent pas les qualités requises. Dans de nombreux pays hors Union européenne et Etats-Unis, en Chine et en Inde notamment, lessociétés de classification sont défaillantes.”

Le risque réside ainsi dans un déficit de contrôle des Etats du pavillon. Quelque 60 % de la flotte mondiale naviguent sous des pavillons de libre immatriculation, aussi appelés pavillons de complaisance, selon laFédération internationale des ouvriers du transport. Offrant le bénéfice d’une fiscalité minimale, ces pays –une trentaine – permettent la multiplication des intermédiaires, afin d’échapper à toute responsabilité en cas d’accident, et autorisent le laxisme en matière de sûreté des navires et de droit du travail.

Différentes pistes sont à l’étude pour améliorer encore la sûreté maritime, à la fois en amont (meilleure traçabilité lors de la construction des navires et laformation des capitaines) et en aval (plus de contrôles et de suivi des bateaux). “L’enjeu est de renforcer les contrôles de l’Etat du pavillon, et de leur faire partager la responsabilité avec le propriétaire du navire, l’affréteur et la société de classification”, explique Geneviève Burdeau, professeur de droit de la mer à l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne.

Pour l’ONG Robin des Bois, les autorités maritimes devront par ailleurs élargir le panel des navires contrôlés. “Il faut aussi renforcer la sûreté des vraquiers et des porte-conteneurs, dont les réservoirs de fioul sont trop exposés aux risques d’échouage ou de collision en raison de coques trop fines, assure Jacky Bonnemains, directeur de l’association. Un porte-conteneur moderne transporte en effet 10 000 tonnes de fioul pour la propulsion, soit autant qu’un petit pétrolier.”

Enfin, des pistes pour améliorer le suivi des bateaux sont étudiées. “La prochaine étape résidera dans les systèmes de surveillance des navires par satellite, ce qui commence à se faire dans l’Union européenne notamment pour la pêche, explique Philippe Delebecque. Les autorités maritimes réfléchissent par ailleurs à un alignement de la navigation maritime sur la navigation aérienne : le commandant du bateau devrait établir une route de navigation de la même façon que le commandant de bord.”

Audrey Garric, pour Le Monde

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