Un capitaine a-t-il le droit de garder les pièces d’identité de ses marins ?

Lorsqu’un conflit né entre un marin et son capitaine ou son armateur, il peut rapidement prendre une ampleur démesurée et la sortie de crise, si elle est bien accompagnée, peut prendre de nombreuses semaines.

Salaires impayés, abandon de l’équipage, rupture abusive de contrat, refus de rapatriement, refus de débarquement en escale, sont autant de difficultés à anticiper avant un engagement à bord d’un navire.

Dans les ports, les capitaineries peuvent facilement témoigner de ce type d’incident car elles sont souvent les premières interlocutrices des victimes à la recherche de solution.

La pièce d’identité des marins, un document sacré :

Plusieurs conventions internationales encadrent les questions des pièces d’identité des marins et ont même créé à l’échelle mondiale un système de Pièce d’Identité des gens de mer (PIM) dont délivrance est soumise aux mêmes conditions que celles relatives à la délivrance de titres de voyage. Ces éléments ont pour but de faciliter la descente à terre, le transit et le transfert des marins.

C’est la Convention de l’OIT n°185 de 2003 relative aux pièces d’identités des gens de mer qui réglemente ces titres aux fins d’instaurer un mécanisme de contrôle et de lutte contre le terrorisme. Cette convention a été ratifiée par la France en 2007.

La PIM ne remplace ni la carte d’identité, ni le passeport, mais permet de passer outre certaines formalités comme le visa. Elle n’est cependant pas obligatoire.

Ainsi, tout marin remplissant les conditions requises pour exercer à bord d’un navire et qui en fait la demande reçoit une pièce d’identité des gens de mer auprès de l’administration de tutelle. Elle est valable 5 ans, renouvelable une fois.

Interdiction du capitaine de garder la PIM, sauf accord écrit du marin :

L’article L5512-2-II du Code des transports précise que :

  • L’armateur ne peut détenir de pièce d’identité des gens de mer employés ou travaillant à bord ;
  • Le capitaine ne peut détenir d’autre pièce d’identité des gens de mer (PIM) employés ou travaillant à bord que la sienne ;
  • Mais les gens de mer, qui le sollicitent par voie écrite, peuvent confier au capitaine leur pièce d’identité des gens de mer (PIM) ainsi que tout autre document.

Par ailleurs, dans le cadre d’un rapatriement, ou à la moindre demande du marin, le capitaine a l’obligation de restituer sans délai tout document que le marin aura souhaité lui confier durant son embarquement (article L5542-31 du Code des transports).

Il est donc important de comprendre la distinction entre :

  • La pièce d’identité des gens de mer (PIM) qui est un document administratif ne remplaçant pas la pièce d’identité réglementaire ;
  • La Carte Nationale d’Identité ou le passeport, qui sont des documents officiels d’identification.

La PIM peut donc être confiée au capitaine uniquement sur demande écrite du marin, tout comme la CNI ou le passeport, mais le capitaine ne peut imposer la rétention de l’un ou de tous ces documents. Du moins pas sans raison légitime et objective.

Les pièces officiels d’identification : des documents personnels

Toute personne qui travaille à bord d’un navire est tenue de justifier, sur demande du capitaine, de son identité, par tout moyen, en plus des documents professionnels (article L5533-2).

Néanmoins, ces documents officiels doivent rester ou toujours revenir dans les mains de son propriétaire. S’ils sont conservés par le capitaine ou l’armateur, cela ne peut être que dans des circonstances exceptionnelles ou pour des raisons de conservation de ces titres en lieu sûr.

Ils ne peuvent donc être conservés que sur demande du marin et avec son consentement donné en bonne et due forme, car il doit pouvoir en disposer à tout moment.

La rétention de ces documents ne peut être objectivement justifiée que sur des motifs liés à la sûreté, sachant que le capitaine peut, pour des raisons administratives ou douanières, avec l’accord du marin ou en fonction des éléments de son contrat d’engagement, garder une pièce équivalente à sa carte nationale d’identité ou son passeport telle que l’est la PIM ou le livret maritime.

Même en matière d’emploi de migrants, l’Organisation Internationale du Travail admet que l’employeur puisse conserver les pièces d’identité des employés, mais uniquement pour les garder en lieu sûr avec le consentement du propriétaire.

Une atteinte grave à une liberté fondamentale :

L’article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme rappelle que toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat, et que toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.

La rétention d’un document officiel par une personne qui n’en a pas la prérogative légale porte ainsi atteinte à cette liberté fondamentale de circuler librement. Par extension, cet acte porte également atteinte à la liberté d’aller et venir, qui a valeur constitutionnelle.

Garder une pièce d’identité, c’est se la voir confier dans une relation de confiance et de bonne foi. Ne pas la restituer, c’est de la confiscation et c’est une pratique frauduleuse délictuelle, surtout si elle est accompagnée de circonstances aggravantes liées au contrat de travail (non versement des salaires, travail forcé sous la contrainte.

Si cette situation est vécue par un marin, il doit se rapprocher sans délai d’un avocat spécialisé en droit du travail des marins (les capitaineries et bureaux du port peuvent avoir quelques contacts), de son autorité maritime de tutelle, d’un inspecteur du travail, ou de son syndicat comme :

Laisser un commentaire