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Un port a-t-il le droit de refuser l’accès à un navire ?

Un port est par définition un abri dans lequel tout navire en péril est censé pouvoir s’abriter en cas de danger.

Mais dans le cadre d’une exploitation portuaire, un port a-t-il le droit de refuser l’accès à un navire ?

S’il y a tempête en mer ? Si le navire a une avarie ? Si l’avarie du navire constitue un danger pour l’environnement ? S’il y a des vies humaines en jeu ? S’il n’y a pas la place au port ? Si le navire ou son armateur sont connus pour ne pas payer ses factures ? Si le navire ne libère pas son poste attribué dans l’urgence ?

Est-ce le commandant du port qui a le pouvoir de décision ? Est-ce le directeur de port ? Les officiers de port ? Les maîtres de port ? Le préfet maritime ? Le CROSS ? L’autorité Portuaire ? Le Préfet Maritime ? Y-a-t-il concertation avant de prendre une décision ?

En mer, en cas de tempête (force 10 sur l’échelle de Beaufort), approcher la côte peut représenter un danger extrême : vent violent, vagues déferlantes, houle croisée, vagues pyramidales, forts courants, remontée des fonds. Dans cette situation, l’entrée dans un port est quasiment infaisable, le navire peut être impraticable. Plus on s’éloigne de la côte, plus on s’écarte du danger ; le mieux est d’attendre en mer que la météo s’améliore. Ou de se mettre à l’abri sous le vent à proximité d’un cap ou dans une rade, lorsqu’on a la “chance” de naviguer sur une côte à reliefs.

L’Ordonnance de la Marine de Colbert de 1681 (Article 1er, Titre I, Livre. IV), définissait le port ou le havre, qui sont synonymes, comme un lieu où mouillent les vaisseaux et où ils sont en assurance contre les tempêtes et les vents. Ainsi, le port était envisagé comme un abri dans lequel il convient de s’abriter en cas de danger ou de nécessité.

 

L’arrêté du 2 décembre 2014 modifiant la Division 240 précise dans son article 1 qu’un abri est un endroit de la côte ou tout engin, embarcation ou navire et son équipage peuvent se mettre en sécurité en mouillant, atterrissant ou accostant et en repartir sans assistance, et que cette notion tient compte des conditions météorologiques du moment ainsi que des caractéristiques du navire.

Vu qu’un port est un abri, un navire pourra donc entrer si la vie humaine et la sécurité du navire sont en dangers (car abri sous-entend danger a priori).

Comment savoir si un port peut refuser l’accès d’un navire, et si tel est le cas, qui est compétent entre l’autorité et le CROSS ?

L’article L5331-7 du code des Transports dispose que l’autorité portuaire exerce la police de l’exploitation du port, qui comprend notamment l’attribution des postes à quai et l’occupation des terre-pleins, et qu’elle exerce la police de la conservation du domaine public du port.

L’article suivant précise que L’autorité investie du pouvoir de police portuaire exerce la police du plan d’eau qui comprend notamment l’organisation des entrées, sorties et mouvements des navires, bateaux ou autres engins flottants. Elle exerce la police des marchandises dangereuses.

Elle contribue au recueil, à la transmission et à la diffusion de l’information nautique.

Le code des Transports distingue donc l’Autorité Portuaire (AI) et l’Autorité Investie du Pouvoir de Police Portuaire (AIPPP).

En bref, et pour résumer ces deux articles, il relève de l’AIPPP pour l’autorisation des entrées, sorties et mouvements des navires mais de l’AP pour l’attribution des postes à quai. L’AIPPP, représentée par le commandant du port, officier de port de l’État, est seule responsable de l’autorisation des mouvements d’entrée et sortie des navires. Cette autorisation étant donnée, l’Autorité Portuaire organise, avec son concessionnaire, le placement des navires et les services associés.

Pour bien comprendre qui se cache derrière ces mots, les articles L5331-5 et L5331-6 du code des Transports précisent que l’autorité portuaire est :

L’autorité investie du pouvoir de police portuaire est :

A peu de choses près, ces articles sont identiques mais définissent deux entités différentes.

Ainsi, en ce qui concerne la police du plan d’eau et l’accès au port, à l’échelle du port, l’AI sera le directeur du port. Il aura donc le pouvoir d’autoriser ou non l’accès d’un navire au port.

Cependant, d’un point de vue hiérarchique, si le Préfet Maritime ordonnance à un port d’accueillir un navire, son autorité prévaudra.

Le CROSS, qui travaille sous l’autorité du Préfet Maritime, et qui coordonne les secours en mer, pourra donc inviter un port à ouvrir ses portes, sous l’ordre du Préfet Maritime (pour dire les choses simplement).

Cette règle est fixée par l’article L5331-3 du code des Transports : “L’Etat détermine les conditions d’accueil des navires en difficulté ; L’autorité administrative enjoint s’il y a lieu à l’autorité portuaire d’accueillir un navire ayant besoin d’assistance. Elle peut également, s’il y a lieu, autoriser ou ordonner son mouvement dans le port.”

Existe-t-il des cas spécifiques où, sans pression de la part de l’Etat et du Préfet Maritime, un port peut refuser l’accès d’un navire à un port ?

Le code des Transports répond précisément à la question :

– L’autorité administrative peut refuser l’accès au port à tout navire présentant un risque élevé pour la sécurité maritime, la sûreté maritime, ou pour l’environnement (sauf si l’accès et l’accueil est imposé par l’Etat selon l’article L5331-3). Cette règle est précisée à l’article L5241-4-5.

– L’autorité administrative peut également refuser l’accès au port à tout navire en cas d’absence d’assurance ou de certificat de garantie, ou à tout navire qui a fait l’objet d’une expulsion pour défaut d’assurance ou de certificat de garantie, ou à tout navire qui a fait l’objet d’une décision analogue prise par un autre Etat membre, et tant que l’armateur, propriétaire ou affréteur n’a pas apporté la preuve du document nécessaire. Cette règle est édictée aux articles L5241-4-5 et L5123-1 du code des Transports.

– De surcroît, l’accès est interdit à tout navire qui a fait l’objet d’une décision de refus de la part d’un Etat membre de l’Union européenne, ou d’un Etat agissant en exécution d’un mémorandum d’entente sur le contrôle des navires par l’Etat du port auquel la France adhère (plus communément appelé MoU, Memorandum of Understanding, et en l’espèce le Mémorandum d’entente de Paris signé en 1982 entre 14 nations maritimes qui en regroupe aujourd’hui 27). Article L5334-4.

Il faut donc retenir qu’hormis le fait que l’Etat puisse imposer en tout temps et en tous lieux l’accès et l’accueil d’un navire en difficulté à une autorité portuaire, les directeurs et autorités investies du pouvoir de police portuaire (hiérarchiquement en dessous de l’autorité portuaire) peuvent autoriser l’accès d’un navire au port en cas de force majeure, pour des raisons de sécurité impératives, notamment pour supprimer ou réduire le risque de pollution ou pour permettre que soient faites des réparations urgentes. Ils seront d’ailleurs vivement invités à le faire.

Cependant, ils ne peuvent prendre ce genre d’initiative que s’ils se sont assurés que le propriétaire, l’armateur ou l’affréteur aient pris des mesures appropriées pour assurer la sécurité de son entrée au port, ce qui impose aux équipes de travailler efficacement dans l’urgence et d’anticiper un maximum les situations délicates qui vont se présenter à la suite de l’accueil du navire en question.

Hormis les situations exposées ci-dessus, un port ne peut refuser l’accès à un navire. Si un navire connu pour ne pas régler ses créances se présente devant un port par exemple, cela ne sera pas une raison justifiant son refus car des procédures judiciaires existent en droit civil ou pénal pour résoudre ce genre de conflit (qui peuvent d’ailleurs se conclurent par une saisie conservatoire par exemple et qui empêcherait le navire à quitter le port).

Sûreté, sécurité, environnement ou défaut d’assurance sont donc les cas édictés par le code des Transports.

Ces règles sont d’ailleurs similaires dans les pays voisins :

En Grande-Bretagne, en vertu du Dangerous Vessels Act 1985, le capitaine d’un port britannique peut interdire l’entrée ou exiger le départ d’un port si, à son point de vue, l’état d’un navire, ou la nature de ce qu’il contient, est telle que sa présence dans le port pourrait entamer un danger grave et imminent pour la sécurité des personnes ou des biens ou risquerait dans le cas où le navire pourrait, en coulant ou en sombrant dans le port, empêcher ou gêner sérieusement l’usage du port par les autres navires.

Les britanniques considèrent comme primordial, en réponse à un accident maritime, après le sauvetage des vies humaines, la protection de la santé humaine et de l’environnement maritime et terrestre. Ils ont mis en place un système pour faire face à ces incidents lorsqu’il est nécessaire de désigner un lieu de refuge pour éviter la pollution de l’environnement.

Il y a eu récemment plusieurs incidents, dans lesquels des navires en détresse demandant l’accès à un port se sont vu refuser cet accès, ce qui a déclenché une discussion mondiale sur la nécessité, pour les États côtiers, de fournir des abris sûrs ou des lieux de refuge.

La loi et les règlements sont précis, bien écrits et ne sont pas sujets à interprétation. Ce n’est donc pas un problème de textes, qui protègent la vie humaine et l’environnement, mais un problème comportemental des autorités qui ont refusé l’accès à un abri à des navires en difficulté.

En guise de conclusion, pour savoir si un port peut refuser l’accès à un navire, il s’agit de savoir si ce port constituera un abri selon le contexte, ou si le navire est “présentable”, “acceptable”, sans danger pour l’homme, pour l’environnement, pour l’enceinte portuaire et pour les autres navires.

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