Us et coutumes des marins et le cérémonial à bord

Sa date, relativement récente, ne doit pas laisser penser que les marins, parfois suspectés d’être jaloux de leur spécificité, se sont fabriqué un texte sur mesure.

En effet, ce décret, dont les dispositions sont, en pratique, déjà toutes contenues dans « l’ordonnance de Louis XIV pour les Armées navales et arcenaux de la Marine » de 1689, n’est que la dernière des adaptations successives rendues nécessaires par les changements de régimes et l’évolution technique des bâtiments de guerre : ordonnance du 31 octobre 1827, décrets du 15 août 1851, du 20 mai 1868, du 20 mai 1885, du 22 juin 1909 et du 18 février 1928.

Ce décret de 1975 – communément appelé décret sur les honneurs – est complété par une instruction d’application de l’état-major de la Marine (1, voir au bas de l’article) qui définit les modalités pratiques d’exécution et, dans le souci de s’en tenir strictement à ce qui est réellement traditionnel, fixe très précisément les limites de ce cérémonial :

« Tout honneur et toute cérémonie non prévus dans le présent cérémonial ne sont pas réglementaires; ils ne peuvent tirer leur existence que d’une tradition locale et folklorique et ne sont donc susceptibles de se produire qu’en privé, s’ils doivent se produire. »

Ce cérémonial relève soit de « l’étiquette navale », c’est-à-dire qu’il est appliqué, à des nuances près, par toutes les marines du monde, soit de coutumes purement nationales, ou encore de l’adaptation à la Marine de règles de symbolique applicables à l’ensemble des armées françaises.

Ce sont ces points un peu insolites de la vie maritime, sans doute assez mal connus puisque se déroulant le plus souvent loin du grand public, que nous allons passer en revue, du plus usité au plus solennel.

Les honneurs au sifflet

Le plus courant, et le plus connu, des éléments du cérémonial maritime est, sans conteste, l’usage du sifflet de manœuvre pour rendre les honneurs.

Ce sifflet, en usage dans toutes les marines du monde, est composé d’une sorte de chalumeau dont l’extrémité débouche sur une sphère creuse. Le son qu’il émet, très strident, modulé selon que la main qui le tient est ouverte ou fermée, est perceptible de très loin et pénètre dans toutes les parties du bâtiment malgré les bruits de l’environnement marin.

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Apanage du maître de manœuvre, il servait autrefois, dans la Marine à voile, à traduire les ordres du commandant ou de l’officier de quart, à partir d’un « solfège » composé de trois sons (2, voir note en bas de page) de base utilisés selon une partition très simplement codifiée. « Posté au pied du grand mât, son sifflet d’argent prêt à interpréter les commandements, c’est à lui, en réalité, qu’obéit l’équipage. »
Ainsi le « bosco » est-il décrit par Sahib (3) dans son Marins & Navires.

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Aujourd’hui, l’argent est devenu inox, mais le sifflet, amarré à une cordelière blanche passée autour du cou, reste l’instrument du gabier de quart pour rendre les honneurs aux officiers et aux autorités qui franchissent la coupée du bâtiment ou, éventuellement, au pavillon en l’absence de clairons qui, à bord, se font de plus en plus rares.

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Au commandement de « Sur le bord ! » que lui donne l’officier ou le gradé de quart, le gabier lance, depuis la coupée, les coups de sifflet réglementaires, dont la durée est fonction du rang de celui qui monte à bord. C’est ainsi que l’amiral est reçu par les modulations suivantes :

« uî, ûiû, ûiû, ûiû, ûi-tit » alors qu’un officier subalterne devra se contenter de : « uî, ûiû, ûi-tit », rappelant, par cette différence, que le temps où la durée de montée à bord d’un vaisseau aux murailles élevées était fonction de l’ancienneté, et donc de l’agilité, de l’arrivant.

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Dans la Marine française, cette forme d’honneur s’applique à tous les officiers et aux autorités officielles en fonction de leurs grade d’assimilation. Cette tradition maritime avait même été adoptée, dans l’armée de Terre, par les sapeurs du « Groupe de chalands de franchissement du Rhin » qui, après la dissolution de la « Marine du Rhin », avait repris ses missions. En revanche, dans la Royal Navy, elle n’est rendue qu’aux officiers de Marine et au souverain en exercice.

Le hallebardier

Jusqu’au début de ce siècle, un certain nombre de factionnaires étaient répartis à bord et chargés de faire respecter les consignes dans les endroits ou locaux sensibles : « la mèche », où l’on venait d’allumer sa pipe, les « cartahuts » , où l’équipage mettait le linge à sécher après la lessive générale, les appartements du commandant ou de l’amiral.

Ce dernier factionnaire, qui veillait en permanence, à la mer comme au mouillage, sur la tranquillité du commandant, était doté d’une arme d’abordage : hallebarde définie par l’ordonnance de 1689, plus tard pique d’abordage modèle 1833, fusil réglementaire, puis, semble- t-il, après les campagnes d’Extrême-Orient de la fin du XIXe siècle, furent utilisées les grandes hallebardes chinoises, »pour les commandants somptueux, amis d’un certain luxe, très en rapport avec leur grade » comme le fait remarquer Sahib (4).

Si la permanence du factionnaire hallebardier n’existe plus, l’usage de la hallebarde – il est bien connu que le fait précède le droit – s’est maintenu dans la Marine, comme arme de parade auprès des hautes autorités. Beaucoup de grands commandements s’exerçant désormais à partir de la terre, cette tradition, qui n’est plus l’apanage des autorités embarquées, a même été étendue aux autorités à terre ayant une marque de commandement.

Sans doute, comme l’a noté Sahib, l’arme utilisée ne correspond plus à aucune prescription réglementaire.

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Le fer, souvent très ouvragé, décoré des étoiles de l’attributaire ou de l’emblème de l’unité qu’il commande, est généralement le fruit du travail et du talent artistique des remarquables armuriers de la Marine. Seule restriction : sa hampe ne doit s’orner d’aucun accessoire de fantaisie.

Les hallebardiers, dont le nombre est limité à deux pour les officiers généraux et à un pour les capitaines de vaisseau, ne peuvent être mis en place qu’à l’occasion de cérémonies ou de réceptions auxquelles ils assistent personnellement, car la hallebarde est considérée comme un symbole de commandement.

Ces hallebardiers seront utilisés « en honneurs », lorsqu’ils sont placés à l’extérieur ou devant l’accès d’un édifice, ou « en interdiction », à l’intérieur, devant l’accès à certains locaux officiels. Dans ce dernier cas, la position adoptée par le hallebardier est telle que, lorsqu’il se met au garde- à-vous, il ramène la hallebarde à lui laissant ainsi le libre accès.

Albert Brenet a donné du « hallebardier de l’amiral » une représentation contemporaine très vivante et il faut bien reconnaître que, lors des manifestations officielles, la présence, devant les appartements du commandant, des hallebardiers, choisis pour leur taille et leur prestance, dissuade en douceur les importuns et impressionne toujours fortement les visiteurs étrangers.

La signification que les marins attachent à cette arme prestigieuse du passé et à son maintien dans le décorum naval a été concrétisée, récemment, par la remise à Jean-François Deniau, par l’amiral chef d’état-major de la Marine, d’une hallebarde d’honneur en remerciement de son action en faveur du rayonnement de la Marine et notamment de son musée.

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Le pavillon

Sans sombrer dans la phraséologie romantique un peu désuète de début du siècle, il faut bien admettre que le pavillon (plus couramment « les couleurs« ) tient une grande place dans la vie du marin dont il rythme les journées : « avant les couleurs« , « après les couleurs« .

Conformément au décret du chef de l’État sur le cérémonial à bord des bâtiments de la Marine, ceux-ci arborent :

  • en tout temps, à la poupe ou à la corne du mât, le pavillon national,
  • en tête de mât, une flamme tricolore ou une marque de commandement,
  • au mouillage, un pavillon de beaupré (le mât de beaupré étant placé sur l’extrême avant du bâtiment).

Le pavillon national constitue – comme son nom l’indique – la marque de nationalité. Une instruction en a toujours réglementé les dimensions en fonction du type de bâtiment et des circonstances.

Un exemple : au mouillage, en semaine, un porte-avions arborera un pavillon de 4 m sur 6 m ; le dimanche, un pavillon de 5 m sur 7,5 m ; les jours de fêtes nationales, un pavillon de 6 m sur 9 m. À la mer, en raison de la prise au vent, il en arborera un dont le « guindant » (partie verticale) mesurera 2 m et le « battant » (partie horizontale) 3 m.

Défini par le décret du 27 pluviôse an II (15 février 1794) sur les dessins du peintre David, ses trois couleurs ne sont pas d’égale superficie : le bleu représente 30% de la surface, le blanc 33% et le rouge 37%, pour des raisons visuelles.

Bref, le pavillon n’est pas « n’importe quoi » comme on le voit trop souvent sur des édifices publics. Le grand pavillon qui surmonte l’ancien Hôtel de la Marine, place de la Concorde, devrait, pour ceux-là, être une référence.

La cérémonie qui préside aux mouvements des couleurs est très ancienne. Elle est décrite de façon identique par Pacini (1844), Sahib (1880), Jourdan (1910) et l’instruction de 1985.

Les modalités en sont généralement connues, puisque les autres armées les ont empruntées à la Marine. Le commandement « Envoyez ! » est d’ailleurs un commandement typique de la Marine à voile. Mais quelques règles particulières sont strictement respectées :

  • D’abord, les mouvements du pavillon s’exécutent avec une précision quasiment astronomique : à 8 h le matinle soirà l’heure locale du coucher du soleil calculée au l/l0e de seconde près par les timoniers.
  • L’ordre d’envoyer est ponctué par un coup de fusil à blanc tiré par le factionnaire de coupée.
  • Sur rade ou dans un port de guerre, le mouvement s’exécute « à l’imitation » du commandant supérieur : le « Halez-bas » d’une flamme spéciale dite « des couleurs », veillé par toutes les passerelles, donne le signal.
  • Enfin, si la cérémonie se passe sur rade étrangère, la musique du bord – c’était le cas de la Jeanne d’Arc notamment – exécute non seulement la Marseillaise après la sonnerie « au drapeau », mais également l’hymne national du pays d’accueil ainsi que celui de tout bâtiment de guerre étranger au pays, venant à se trouver sur la même rade : c’est dire que, dans certains cas, la cérémonie des couleurs peut avoir une certaine durée !

Comme chacun le sait, l’équipage présent sur le pont se découvre (pour les couleurs du matin, l’équipage au complet est rassemblé aux « postes de compagnie ») mais, lorsqu’un marin assiste aux couleurs dans une enceinte ou une formation d’une autre armée, il se conforme aux règles de celle-ci, c’est-à-dire qu’il salue au lieu de se découvrir.

Les règles internationales imposent aux navires de commerce de toutes nationalités de saluer les bâtiments de guerre qu’ils croisent à la mer ou sur rade. A ce geste de déférence qu’ils manifestent en rentrant trois fois leur pavillon, le bâtiment salué répond en abaissant le sien au tiers du mât et en le remontant aussitôt. De même le premier geste de toute personne qui franchit la coupée est de saluer le pavillon, ou, si celui-ci n’est pas arboré, en direction du mât de pavillon.

On le voit, le pavillon national fait l’objet à bord d’un culte quasi religieux. Cependant il ne bénéficie pas, comme les drapeaux régimentaires, de mesures particulières d’attribution et de conservation, mais il interdit que, à bord, un drapeau qui serait embarqué puisse être déployé. Fabriqué en étamine de laine ou de tergal, il doit certes être fréquemment renouvelé et l’officier de quart doit veiller à ce que, à la mer, il soit parfaitement battant malgré les changements de cap, fréquents en exercice.

Mais il n’a de valeur symbolique qu’une fois hissé et son service à la mer terminé, le plus souvent en raison de l’usure, sa matière première participe à la fabrication des bouchons d’étoupe utilisés par les mécaniciens !

Porté également depuis 1830 par les navires de commerce, le pavillon tricolore de poupe ne confère pas au bâtiment qui le porte la qualité de bâtiment de guerre (5).

C’est une flamme tricolore (1/5 bleue, 1/5 blanche, 3/5 rouge) qui marque que l’élément qui la porte appartient aux forces maritimes et que son commandant est titulaire d’une lettre de commandement.

Cette flamme – souvent dite « flamme de guerre » – est arborée dès la prise d’armement de l’unité. Elle reste en permanence en tête du mât le plus haut quand le bâtiment est disponible. Elle n’est « rentrée », avec les pavillons de poupe et de beaupré, qu’au cours de l’ultime cérémonie des couleurs qui marque le désarmement ou la cession d’une unité.

Ses dimensions sont, comme celles du pavillon national, rigoureusement réglementées. Mais une tradition ancienne veut que les bâtiments, retour d’une campagne lointaine d’au moins cinq mois, arborent une flamme augmentée d’un mètre par mois d’absence de la métropole. Le Georges Leygues, rentrant à Toulon en septembre 1944, arborait une flamme de guerre de 60 m !

A cette flamme peut être substituée, si le bâtiment porte une autorité, une marque de commandement. Elles ont été – notamment sous l’Ancien Régime – longtemps personnalisées ; elles sont maintenant anonymes et se bornent à indiquer le rang de l’autorité embarquée, afin que nul, notamment les bâtiments rencontrés, n’en ignore.

La seule marque qui soit encore personnalisée actuellement est la marque du président de la République.

Depuis 1870, celle-ci est constituée d’un pavillon tricolore dont les bandes sont d’égale superficie, la bande centrale blanche étant ornée des initiales du président en exercice. Le président Giscard d’Estaing, renouant avec un passé ancien, avait adopté, en lieu et place de ses initiales, le faisceau de licteur, et son successeur le chêne mêlé à l’olivier. A ce jour, il ne semble pas que l’actuel président ait décidé d’une marque particulière.

Le pavillon de beaupré est, quant à lui, identique au pavillon de poupe (6) mais de dimensions plus réduites. Hissé, il est le signe que le bâtiment est au mouillage. A la différence des marques et flammes, il suit les mouvements du grand pavillon et ne se porte pas à la mer.

Il y a cependant, en ce qui concerne ce pavillon, deux exceptions à la règle générale : c’est d’abord le cas des bâtiments FNFL (7), ou des héritiers par filiation directe de ces bâtiments. Ceux-ci arborent, en lieu et place du pavillon national de beaupré, le pavillon à croix de Lorraine, créé en juillet 1940 par l’amiral Muselier, qui était porté par les bâtiments de ces forces. Par dérogation exceptionnelle, le porte-avions Charles de Gaulle arborera également le pavillon de beaupré FNFL.

C’est ensuite le cas des bâtiments ayant obtenu une fourragère. Ceux-ci portent, depuis juin 1918, des flammes spéciales de couleurs verte, jaune, ou rouge, fonction du rang de la fourragère, ou bleu, si celle-ci a été obtenue sur un TOE. Par une extension récente et exceptionnelle, l’École des fusiliers marins et les commandos Marine sont autorisés à arborer, à la drisse bâbord du mât du pavillon de type marine qui orne leur cour d’honneur, la flamme de la fourragère de la Légion d’honneur que leurs prédécesseurs ont mérité.

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Le pavois

Les habitants des ports de guerre qui, à l’occasion des fêtes nationales et de certaines circonstances, voient les bâtiments de guerre se couvrir d’une guirlande de pavillons multicolores savent bien qu’il ne s’agit pas là d’une fantaisie, mais que les bâtiments ont hissé le « grand pavois« .

C’est en effet ainsi que, depuis des siècles, les marins du monde entier donnent à leurs bateaux, dont l’apparence générale est plutôt austère, l’air de fête qui sied à une célébration ou à une commémoration, « ès solemnitez principales, jours de feste et réjouissance » comme le dit le chroniqueur.

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Le grand pavois consiste donc à orner le bâtiment d’une part des couleurs nationales supplémentaires au sommet de chaque mât et d’autre part des pavillons du code international des signaux, disposés le long d’une drisse courant de l’avant à l’arrière, en passant par le haut des mâts.

L’ordre dans lequel se succèdent les différents pavillons fait l’objet d’une réglementation précise : il s’agit certes de rechercher l’harmonie des couleurs, mais également d’éviter de former des mots pouvant avoir une signification en français ou dans une langue étrangère. Il ne peut donc être laissé au hasard.

Le pavoisement est normalement mis en place, dans la Marine nationale, à l’occasion du 14 Juilletde la fête de Jeanne d’Arcde la commémoration du 11 Novembre. Il peut être prescrit pour la visite du Président de la Républiqued’un souverain ou chef d’Etat étranger ou dans certaines conditions, lors de la prise de passage d’un ambassadeur de France.

Il est hissé aux « couleurs du matin » et rentré aux « couleurs du soir ». Il peut-être parfois hissé, sur ordre, pour honorer une puissance étrangère avec laquelle notre pays entretient des relations diplomatiques.
Le pavillon de la nation étrangère est alors, suprême civilité maritime, hissé au sommet du mât le plus haut à la place du pavillon français. C’est une des deux seules circonstances où un bâtiment de guerre français (8) arbore un pavillon étranger -l’autre étant le salut à la terre.

Pour des raisons évidentes, le grand pavois ne peut être porté à la mer ; dans ce cas, il est remplacé par le « petit pavois », beaucoup plus modeste, puisqu’il se limite à arborer, en tête de certains mâts, des pavillons nationaux se rajoutant à ceux normalement portés par le bâtiment.

C’est dans cette tenue, sous petit pavois, que, dans des temps encore récents, un bâtiment engageait le combat.

Malheureusement, les circonstances de la guerre moderne ne permettent plus de respecter cette belle tradition.

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Les saluts au canon

Les saluts au canon sont une tradition très ancienne respectée par toutes les marines du monde. Les modalités en sont déjà détaillées dans l’ordonnance de 1689. Ils consistent en des tirs à blanc, exécutés avec une régularité pendulaire (9) à raison d’un coup toutes les cinq secondes environ, le nombre de coups ne pouvant, en aucun cas, excéder vingt et un. Dans ce genre de tir, le raté devient la hantise du canonnier.

Autrefois exécutés par l’artillerie du bâtiment, ils le sont maintenant par deux affûts de salut mobiles tirant alternativement et utilisant des munitions spécialement conçues pour privilégier le bruit et la fumée blanche.

Des tirs de saluts sont exécutés notamment pour les solennités nationales, pour honorer certaines personnalités civiles ou militaires de haut rang, mais la circonstance la plus fréquente est celle du « salut à la terre », qui appellera, de la part du pays salué, une réponse coup par coup.

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En se présentant au mouillage, le bâtiment arrivant exécute un tir de vingt et un coups, exactement à l’heure préalablement fixée, en route à faible vitesse et à la vue de la batterie terrestre ou du bâtiment qui rendra le salut.

Le pavillon du pays d’accueil, ferlé à l’avance en tête du mât le plus haut au moyen d’un nœud particulier, est rendu, dès le départ du premier coup, instantanément battant. Il sera rentré, aussi rapidement, au dernier coup.

Pendant l’exécution du tir, l’équipage est au garde-à-vous aux postes de manœuvre et la garde rassemblée sur le pont présente les armes. Seules les escales dites « officielles » et « non officielles », par opposition aux escales dites « de routine » dans le jargon maritime, donnent lieu à de tels tirs.

En ce qui concerne les honneurs rendus au canon aux personnalités civiles et militaires, notons que le Président de la République, chef des armées, reçoit un salut de vingt et un coups, et l’amiral chef d’état-major de la Marine, dix-neuf.

Celui qui est le moins bien doté par la réglementation en vigueur est « l’agent diplomatique français », titulaire d’un consulat, de rang inférieur à secrétaire des Affaires étrangères, lors d’une première visite officielle, et sous réserve qu’il soit en tenue de cérémonie.

Si toutes ces conditions sont remplies, il aura droit à un salut de cinq coups. Élément marquant et bruyant du cérémonial naval, le salut au canon semble très prisé des ayants droit civils.

Les cris de salut

Avec les cris de salut, on atteint le couronnement des honneurs navals.

Désormais réservés au Président de la République ainsi qu’aux souverains et chefs d’Etat étrangers, ils étaient encore, jusqu’au décret de 1975, applicables aux officiers généraux de Marine prenant leur commandement (en nombre moindre, lié aux grades).

« […] le canot vole, il accoste le vaisseau, l’amiral monte; alors, sur tous les bâtiments de sa division, les vergues se couvrent de matelots; tous debout, les bras étendus sur la mince corde roidie qui leur sert de garde-corps, font retentir l’air de cris cadencés de : Vive le Roy! et le pavillon d’amiral monte au sommet du mât, au milieu de la fumée des canons du vaisseau qui le saluent. »

Ainsi, Pacini, dans sa description de la Marine de 1844, rend-il compte de la prise de commandement d’un officier général.

Les temps ont changé. Il n’y a plus de vergues. Le décret de 1909 a adapté cette forme d’honneurs à la nouvelle silhouette que prennent les bâtiments.

« Une partie des équipages a été rangée le long des lisses et des passerelles« , autrement dit l’équipage est « à la bande« .

Telle est la nouvelle disposition, sans doute moins spectaculaire que la précédente encore en usage sur certains voiliers-écoles étrangers.

Les régimes ont passé. Les marins français, qui, depuis la Restauration, ont crié successivement Vive le Roi !, Vive le Président ! Vive l’Empereur !, ont retrouvé, avec le décret de 1885, le Vive la République! des origines du pavillon tricolore.

Mais imagine-t-on les marins du Vengeur disparaître en criant « Vi-ve-la-Ré-pu-bli-que !« . Car c’est la diction qu’une malheureuse instruction contemporaine impose à ce cri « de telle sorte que les syllabes soient bien détachées« , privant ainsi cette acclamation de toute la spontanéité et de tout l’enthousiasme qu’elle doit manifester.

Les Hurrah! poussés par les marins britanniques et américains dans les mêmes circonstances – et que d’ailleurs le cérémonial naval français réserve aux souverains et chefs d’État étrangers – sont, au moins sur le plan de la diction, infiniment plus convaincants.

Ceux qui ont vu et entendu à la télévision les équipages alliés saluant ainsi la marque présidentielle française lors de la revue navale du 15 août 1994 à Toulon apprécieront.

Voilà, sommairement brossés, les aspects principaux du cérémonial officiel à bord des bâtiments de la Marine nationale, auxquels les marins sont très attachés.

Puisant leurs premières sources réglementaires dans l’ordonnance trois fois centenaire de 1689 préparée par Colbert et achevée par son fils Seignelay, ces traditions ont certes évolué dans le sens de l’allégement des contraintes.

Mais, sur le fond, elles ont bien supporté les changements politiques et les révolutions technologiques. Maintenues par toutes les Marines anciennes, adoptées par toutes les jeunes Marines, elles constituent la base de l’ « étiquette navale », de cette « civilité maritime » comme la qualifie Pacini, qui dans l’histoire a bien souvent facilité les relations entre forces maritimes des différents pays.

Notes

1. L’ensemble de ces textes est rassemblé dans le B.O.E.M. n° 143 du Bulletin officiel des Armées (refondu juillet 1986).

2. u : son donné par le sifflet main ouverte ; i : son donné main fermée; û : coup allongé main ouverte; î : coup allongé main fermée ; tit : coup piqué main fermée.

3. Pseudonyme du vice-amiral Gourdon, auteur de La frégate L’Incomprise (1873) et de savoureux Croquis maritimes (1880).

4. Marins & Navires, 1890.

5. Depuis cette époque, nous différons en cela de nombreuses marines étrangères (Royal Navy, marine russe, etc.) qui ont un pavillon spécifique pour les bâtiments de guerre.

6. Certaines marines ont un pavillon de beaupré différent : dans la Royal Navy, c’est l’Union Jack, dans la marine des Etats-Unis, un carré bleu comportant autant d’étoiles blanches que d’Etats.

7. Les dernières unités en service ayant appartenu aux FNFL sont les goélettes Belle Poule et Étoile qui ont servi d’annexes à l’Ecole navale FNFL de Portsmouth.

8. A la différence des bâtiments de commerce qui, dans les ports étrangers, sont tenus d’arborer, en abord, le pavillon du pays d’escale.

9. Selon la tradition, la cadence de tir aurait été autrefois rythmée par une phrase sacramentelle que le maître canonnier prononçait in petto :  » Ah ! Si j’étais pas si c…,je s’rais pas canonnier « , tandis que le nombre de coups tirés était décompté par des haricots secs passant d’une poche à l’autre.

Un commentaire

  1. Bonsoir

    Concernant l’alinéa 8, depuis quelques années, nos navires de guerre pénétrant dans les eaux territoriales d’un pays visité arbore le pavillon de ce pays sur une drisse en abord. C’est devenu l’usage.

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