La chambre commerciale de la Cour de cassation a eu l’occasion lors des deux arrêts suivants de se prononcer sur trois institutions particulières du droit maritime :
- l’assistance,
- le remorquage,
- l’abordage.
Premier arrêt : Chambre commerciale, 24 janvier 2006 (Bull n° 14) :
Le premier chapitre de la loi du 7 juillet 1967 relative aux événements de mer a trait à l’abordage.
Son article premier dispose: “en cas d’abordage survenu entre navires de mer ou entre navires de mer et bateaux de navigation intérieure, les indemnités dues à raison des dommages causés aux navires, aux choses ou personnes se trouvant à bord sont réglées conformément aux dispositions du présent chapitre sans tenir compte des eaux où l’abordage s’est produit“.
Dans les articles suivants, il n’est fait mention que de la responsabilité du navire.
Ce texte a pour objet l’identification du navire responsable d’un abordage.
Il ne règle pas l’imputation de la dette de réparation. Entre d’autres termes, il tranche l’obligation à la dette, pas la contribution à cette dernière.
Il déroge aux règles de la responsabilité civile délictuelle de droit commun en ce qu’il écarte toute notion de garde et propose un régime particulier mais impératif fondé sur la notion de faute :
Cf. Com., 5 novembre 2003, Bull., IV, n° 159 : “En cas d’abordage entre deux bateaux de navigation intérieure, la loi du 5 juillet 1934 est seule applicable. A violé par fausse application l’article 1384, alinéa premier, du code civil et défaut d’application la loi du 5 juillet 1934, la cour d’appel qui a fait application des règles de la responsabilité civile à une collision entre deux motos des mers sur un lac“.
La loi de 1934, applicable en matière de navigation intérieure est, à l’instar de celle de 1967, exclusivement fondée sur la notion de faute. Le raisonnement de la chambre, en ce qu’elle a écarté toute portée à l’article 1384, alinéa 1er, du code civil pour l’appréciation d’une responsabilité en cas d’abordage lors d’une navigation intérieure est transposable en cas d’abordage maritime.
Dans le cadre d’une régate, les règles édictées par la loi de 1967 doivent se conjuguer avec les règles particulières relatives à la courses à la voile.
En application de l’article 17 de la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 (modifiée depuis par l’ordonnance du 19 septembre 2000), les fédérations sportives agréées reçoivent délégation du ministre chargé des sports pour organiser les compétitions sportives. Dans le cadre de cette délégation, la fédération édicte entre autre “les règles techniques propres à la discipline“. C’est en vertu de cette disposition légale que la FFV publie les règles de course qui s’imposent à tous les participants.
Il résulte de la combinaison de la loi de 1967 et de celle de 1984, que la faute d’un voilier, au sens de la loi de 1967, est constituée par la transgression d’une règle de course. Les juges du fond ont fait application des règles de course. Ce point n’est pas en discussion.
Dès lors, peu importe que le litige se soit noué à l’occasion d’une régate. La question posée par le pourvoi a trait à l’articulation des règles de responsabilité édictées par la loi de 1967 avec celles relatives à la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés. A cette question inédite, dès lors que la loi de 1967, qui n’a pour seul objet que d’identifier le navire fautif, peut parfaitement être articulé avec les règles de la responsabilité du commettant du fait de son préposé pourvu qu’un lien de préposition ait été dégagé entre le capitaine (ou l’un de ses préposés) du navire responsable et un tiers commettant, la chambre commerciale répond par l’affirmative.
La motivation de la cour d’appel ne permet cependant pas de caractériser un lien de préposition entre le skipper et son mandant.
Second arrêt : Chambre commerciale, 21 mars 2006 (Bull n° 73) :
Un navire, “le Noroît” ayant échoué en mer, a été remorqué par l’embarcation de sauvetage de la SNSM jusqu’à un port. Une fois à l’intérieur, le navire a été projeté sur un autre navire, lequel a lui-même percuté un autre navire.
Les victimes ont assigné les navires remorqueur et remorqué en indemnisation de leur préjudice.
Le tribunal de première instance a fait application de l’article 1384 alinéa premier du code civil pour trancher le litige. Il a ainsi retenu l’entière responsabilité du gardien du Noroît impliqué dans la collision.
Il a ensuite fait application des règles du remorquage dans les rapports entre Noroît et SNSM pour accueillir l’appel en garantie des victimes à l’encontre de la SNSM en considérant que la présomption de faute pesant sur le remorqueur édictée par la loi de 1969 devait trouver à s’appliquer.
La cour d’appel a infirmé le jugement en ce qu’il a retenu la responsabilité du gardien du Noroît a condamné la SNSM seule à supporter les conséquences dommageables des collisions.
La cour d’appel a considéré que l’article 1384, alinéa 1er, ne trouvait pas à s’appliquer mais que seules les règles de l’abordage maritime prévues par la loi du 7 juillet 1967 permettaient d’appréhender les responsabilités.
Faisant ensuite application de la présomption de faute pesant sur le remorqueur dans le cadre d’un remorquage portuaire, elle a considéré que seule était responsable la SNSM. Le pourvoi formé contre cet arrêt a permis à la chambre commerciale d’appréhender les règles de responsabilités applicables lorsque le dommage consécutif à un abordage maritime a été causé par un navire qui avait été pris en remorque suite à une assistance maritime.
A. les institutions en cause :
1- L’assistance :
“Il y a assistance en mer chaque fois qu’un secours est porté à un navire en danger de se perdre… le péril est nécessaire mais la jurisprudence se montre large sur ce point : elle n’exige pas un péril imminent. Par exemple, elle considère que tout navire échoué est en péril de se perdre, de même un navire privé de son hélice ou de son gouvernail est considéré comme un navire en péril, même si la mer est calme, parce qu’il est à la merci des événements de mer” (E. du Pontavice, Droit maritime, Dalloz, n° 460, p. 455 et 456). Rien, cependant, dans le chapitre 2 de la loi de 1967 consacré à l’assistance n’a trait au régime de la responsabilité civile des navires concernés par l’assistance vis à vis de tiers.
2 – Le remorquage :
C’est la loi du 3 janvier 1969 relative à l’armement et aux ventes maritimes qui organise le remorquage. la loi de 1969 prévoit un jeu de présomptions simples de fautes. La responsabilité civile engagée dans le cadre du remorquage entraîne la mise en cause de l’un, ou de l’autre des navires concernés mais ne prévoit pas de partage de responsabilité entre les deux navires.
La loi de 1969 a été jugée par l’assemblée plénière supplétive de la volonté des parties. Les commentateurs les plus avisés y ont lu un triomphe de la liberté contractuelle. Mais aucune décision ni commentaire ne se prononce sur l’application de la loi pour des dommages causés à des tiers. La chambre commerciale a rendu un arrêt publié le 8 juillet 2003 qui a affirmé clairement l’applicabilité de la loi de 1969 pour les dommages subis par les tiers :
“Attendu (…) qu’en faisant application de ce texte lorsque le dommage a été subi par un tiers aux opérations de remorquage, la cour d’appel… a fait l’exacte application de ce texte”.
Il en résulte qu’en droit actuel, sauf à envisager un revirement sur une décision récente, la loi de 1969 a vocation à s’appliquer pour les dommages causés au tiers.
3- L’abordage : cet aspect a été évoqué à l’occasion d’un arrêt du 24 janvier 2007.
B – La solution :
Dès lors qu’un navire se trouve à la remorque d’un autre à la suite d’une opération d’assistance maritime, les règles spécifiques de l’assistance maritime doivent-elles être mises en oeuvre pour apprécier la responsabilité des navires du convoi “remorqueur-remorqué” vis à vis d’un navire tiers victime d’un abordage, ou bien l’existence d’une assistance maritime exclut-elle les règles spécifiques du remorquage ?
Dans le cadre du raisonnement qui a conduit la chambre à l’arrêt de 2003, le remorquage peut-être considéré comme une convention en ce qu’il lie remorqueur et remorqué et comme une institution définie par la loi de 1969 en ce qu’il est opposable aux tiers. Rien n’empêche que le même raisonnement soit tenu si le couple remorqueur-remorqué s’est formé non à la suite d’un contrat mais comme conséquence d’une assistance maritime.
Dans ce raisonnement, peu importe en définitive l’événement qui a été à l’origine du couple remorqueur-remorqué pour les tiers victimes de l’abordage par l’un des navires reliés. Ils doivent faire application des présomptions de la loi de 1969, lesquelles se fondent uniquement sur la manoeuvrabilité des navires en causes et partant sur l’existence de faute commise. Dans ce cadre, les deux distinctions – assistance, remorquage – et – remorquage régi par le texte de la loi de 1969 ou régi par une convention dérogation – n’a d’influence que dans les rapports entre remorqueur et remorqué. C’est dans la lignée de l’arrêt de 2003 que la chambre commerciale a rejeté le moyen unique du pourvoi principal.